mercredi 13 avril 2016

Bourgogne gourmande : une palette de fromages.

Arômes de fruits, de noisette, de champignons, de sous-bois, de bouquets, de fruits secs. Arômes persistants en bouche, éventail de sensations. Non, il ne s’agit pas de grands crus. En Bourgogne, les vins ne sont pas les seuls à avoir gagné des lettres de noblesse : d’autres délices locales ravissent les palais les plus exigeants. Presque une trentaine de fromages composent un plateau aux noms charmants et aux saveurs inimitables et Brillat-Savarin, célèbre gastronome français, avait ô combien raison d’affirmer dans sa Physiologie du goût (1825) : « Un repas sans fromage est une belle à qui il manque un œil. » Si les stars -  l’époisses, le brillat-savarin, le chaource, le mâconnais ou le soumaintrain de l’Yonne - se taillent la part du lion et brillent au firmament de notre culture olfactive et gustative, elles n’ont aucune raison d’éclipser le bouton de culotte, l’ami du Chambertin, le trappiste de Cîteaux, le cendré de Vergy, la Pierre-qui-vire, le petit creux, le trou du cru, le dôme des Belles-Fontaines, le palet de Bourgogne, le Saint-Florentin, le charolais et autres boule aux herbes, tomme des moines grise et rouge, clacbitou, trinquelin, paillé, rond pis ou lardu…. Avant de passer à table, une petite mise en bouche s’impose : plongeons-nous dans l’histoire parfois séculaire de ces noms poétiques, indissociables des terroirs de l’ancien fastueux duché de Bourgogne.

C’est à l’orée du XVIème siècle que débute notre balade fromagère, dans le petit village d’Epoisses. Une communauté de moines cisterciens s’y établit, créant un fromage dont le secret de fabrication n’aurait été transmis que deux siècles plus tard, lorsque les religieux quittèrent les lieux, aux paysannes de la vallée. Un héritage précieux que ces dernières eurent à cœur de perpétuer dans les fermes de l’Auxois, fixant et améliorant savoir-faire et qualité de fabrication d’un produit d’exception que l’on dégustait déjà à la cour de Louis XIV. Au début du XIXème siècle, l’activité fromagère propre à la région d’Epoisses est attestée, le fromage s’exporte à Paris, sa renommée n’est plus à faire. Lorsque, au Congrès de Vienne en 1815, Talleyrand organise un concours avec quarante-neuf fromages européens, l’époisses est classé deuxième, derrière le brie. Brillat-Savarin le consacre « roi des fromages » tandis que le New York Times, en 1924, parle d’un « almost unknown cheese, the very king of cheeses – the cheese of Poisse.  » Hélas, la seconde guerre mondiale eut raison de la production grandissante d’un délice dont la fabrication complexe requérait main d’œuvre qualifiée et temps. Les femmes délaissent cette activité, les nouvelles générations ne la reprennent pas, la fabrication de l’époisses à la ferme décline et disparaît dans les années 1950. Au même moment, un couple d’agriculteurs vole à la rescousse de ce fromage du passé, en relance la production et redore son blason : le « roi des fromages », dont la reconnaissance officielle eut lieu en 1991 par l’obtention d’une AOC, trône à nouveau en majesté sur les plateaux du monde entier. Quel est donc son fabuleux secret de fabrication quasiment inchangé depuis cinq siècles ? Tout d’abord le lait utilisé : seules certaines vaches, autour des solides fermes bourguignonnes, ont la délicate mission de fournir un lait gras et fleuri qui dès son arrivée - entier bien sûr - à la fromagerie, est monté en température dans des cuves afin de subir une légère maturation puis l’emprésurage. Celui-ci entraîne une coagulation lente, lactique, qui dure entre seize et vingt-quatre heures. On obtient ainsi le caillé, fragile, que l’on tranche pour le mettre à égoutter dans des moules perforés d’où s’échappe librement le petit lait. Après quarante-huit heures d’égouttage naturel et deux fois retourné, le fromage est démoulé, salé, posé sur des claies pour sécher et enfin conduit dans des caves d’affinage. Chaque fromage est alors lavé une à trois fois par semaine, avec une eau progressivement enrichie au marc de Bourgogne. Ces soins attentifs durent entre quatre et huit semaines : un affinage sans hâte qui permet l’épanouissement des arômes et des saveurs, ainsi que la belle robe variant de l’ivoire orangé au rouge brique selon le degré de maturité. A vos cuillers ! La pâte beige claire, souple et onctueuse est prête à être dégustée. Un chassagne-montrachet lui sied à merveille. Napoléon, lui, l’aimait avec un vin de Chambertin.



Epoisse
© Syndicat de défense de l'époisse
L’époisses partage volontiers son plateau, même avec ses prédécesseurs. Remontons donc plus avant dans le temps. Lui aussi fromage à pâte molle et croûte fleurie fabriqué exclusivement avec du lait de vache entier, lui aussi porteur du nom d’un village, entre Bourgogne et Champagne, le chaource est connu dès le XIIème siècle : les religieux de l’abbaye de Pontigny se seraient penchés sur son berceau et l’évêque de Langres s’en régalait. Au début du XIVème siècle, Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X le Hutin, l’exigeait à sa table et son beau frère, Charles IV le Bel, se le fit présenter lors de son passage à Chaource. Et au XIXème, ce cylindre plat à la croûte blanche et duvetée, à l’odeur légère de champignon et de crème, à la pâte onctueuse aux arômes de noisette, a acquis sa notoriété sur les principales places françaises.

Le soumaintrain, qui porte le nom d’un village de l’Yonne,  peut également se targuer d’une origine médiévale, bien que les premières traces certifiées de sa fabrication remontent à 1631 (versement de la dîme à l’abbaye de Pontigny) : en 1117, les moines cisterciens s’acquittaient du fermage de leurs terres avec ce fromage à pâte molle et à croûte lavée de couleur jaune paille à ocre foncé. Il n’est pas affiné à l’alcool, mais sa pâte fine à l’amertume noble et aux saveurs de noisette et de sous-bois se marie harmonieusement avec un irancy.

Place aux nouveau-nés du siècle dernier : récents, oui, mais non moins forts en bouche ! Fromage puissant, né en 1950 sur la côte dijonnaise, l’ami du Chambertin est fabriqué selon un savoir-faire inspiré de celui des moines et des fermières d’antan, en laiterie artisanale, au lait cru de vaches de la région. Affiné plus de quatre semaines en cave avec lavages à l’eau et au Marc de Bourgogne, ce cousin de l’époisses porte haut les couleurs de sa robe d’or.

Créé dès 1890 en Seine-Maritime sous le nom d’Excelsior, notre brillat-savarin est ainsi renommé en 1930 par Henri Androuët en hommage au célèbre gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin. Sa production se déplace alors de Normandie en Bourgogne où il est affiné depuis plus d’un demi-siècle. Fromage à pâte molle et croûte fleurie, au lait de vache enrichi en crème, dodu, replet et sans complexe de poids, il aime les réjouissances et boude les régimes tristes. Son onctueuse pâte blanche est fruitée, un peu acide, et libère en bouche des arômes de beurre, de champignon et de noisette.

Plus confidentielle, toujours au lait crû entier de vache, la  pierre-qui-vire est fabriquée depuis 1980 par les moines de l’abbaye bénédictine de Sainte Marie de la Pierre-qui-Vire au sud de l’Yonne. L’abbaye de Cîteaux n’est pas en reste, dont les moines élaborent depuis 1925 le trappiste de Cîteaux. Et que diriez-vous d’un cendré de Vergy ?

Mais laissons là la vache ! Dès le XVIème siècle, fermiers, métayers et viticulteurs élevèrent sur les prés communaux, les herbages des larges chemins ou les prairies intercalées entre les côtes viticoles, la « vache du pauvre », utilisant le lait cru de leurs chèvres pour en fabriquer des fromages, se constituant une alimentation substantielle et un revenu. Naissent au fil des siècles le charolais, le mâconnais, le bouton de culotte, le dôme des Belles Fontaines, le marcigny, le racotin, le poiset au marc… qui ravissent encore nos papilles. Alors, encore un Bouton de culotte sur le velours d’un Nuits-Saint-Georges ou le satin blanc d’un Chablis ?
 
Article de Valérie Denarnaud - Mayer paru dans la revue L’éléphant n° 14, avril 2016
www.lelephant-larevue.fr
 


Fromage de Langres
http://www.tourisme-langres.com © Angélique Roze
 









Périodes de consommation idéale:
  • l'Epoisse de mai à octobre mais aussi d'avril à décembre.
  • Le Langres de mai à août mais aussi de mars à décembre.
  • Le Soumaintrain de mai à octobre mais aussi d'avril à décembre.
  • Le Brillat-Savarin d'avril à octobre mais aussi de mars à octobre.
  • Le Chaourse de juillet à octobre mais aussi de janvier à octobre.
  • Le Charolais de mai à août mais aussi de mars à décembre.
  • Le  bouton de culotte de juillet à octobre mais aussi de juin à novembre.