C’est à l’orée du XVIème siècle que débute notre balade
fromagère, dans le petit village d’Epoisses. Une communauté de moines cisterciens
s’y établit, créant un fromage dont le secret de fabrication n’aurait été
transmis que deux siècles plus tard, lorsque les religieux quittèrent les lieux,
aux paysannes de la vallée. Un héritage précieux que ces dernières eurent à
cœur de perpétuer dans les fermes de l’Auxois, fixant et améliorant
savoir-faire et qualité de fabrication d’un produit d’exception que l’on
dégustait déjà à la cour de Louis XIV. Au début du XIXème siècle, l’activité
fromagère propre à la région d’Epoisses est attestée, le fromage s’exporte à Paris,
sa renommée n’est plus à faire. Lorsque, au Congrès de Vienne en 1815, Talleyrand
organise un concours avec quarante-neuf fromages européens, l’époisses est
classé deuxième, derrière le brie. Brillat-Savarin le consacre
« roi des fromages » tandis que le New York Times, en 1924, parle
d’un « almost unknown cheese, the very king of cheeses – the cheese of
Poisse. » Hélas,
la seconde guerre mondiale eut raison de la production grandissante d’un délice
dont la fabrication complexe requérait main d’œuvre qualifiée et temps. Les
femmes délaissent cette activité, les nouvelles générations ne la reprennent
pas, la fabrication de l’époisses à la ferme décline et disparaît dans les
années 1950. Au même moment, un couple d’agriculteurs vole à la rescousse de ce
fromage du passé, en relance la production et redore son blason : le
« roi des fromages », dont la reconnaissance officielle eut lieu en
1991 par l’obtention d’une AOC, trône à nouveau en majesté sur les plateaux du
monde entier. Quel est donc son fabuleux secret de fabrication quasiment
inchangé depuis cinq siècles ? Tout d’abord le lait utilisé : seules
certaines vaches, autour des solides fermes bourguignonnes, ont la délicate
mission de fournir un lait gras et fleuri qui dès son arrivée - entier bien sûr
- à la fromagerie, est monté en température dans des cuves afin de subir une
légère maturation puis l’emprésurage. Celui-ci entraîne une coagulation lente,
lactique, qui dure entre seize et vingt-quatre heures. On obtient ainsi le
caillé, fragile, que l’on tranche pour le mettre à égoutter dans des moules
perforés d’où s’échappe librement le petit lait. Après quarante-huit heures
d’égouttage naturel et deux fois retourné, le fromage est démoulé, salé, posé
sur des claies pour sécher et enfin conduit dans des caves d’affinage. Chaque
fromage est alors lavé une à trois fois par semaine, avec une eau
progressivement enrichie au marc de Bourgogne. Ces soins attentifs durent entre
quatre et huit semaines : un affinage sans hâte qui permet
l’épanouissement des arômes et des saveurs, ainsi que la belle robe variant de
l’ivoire orangé au rouge brique selon le degré de maturité. A vos
cuillers ! La pâte beige claire, souple et onctueuse est prête à être dégustée.
Un chassagne-montrachet lui sied à merveille. Napoléon, lui, l’aimait avec un
vin de Chambertin.
L’époisses partage volontiers son plateau, même avec ses
prédécesseurs. Remontons donc plus avant dans le temps. Lui aussi fromage à
pâte molle et croûte fleurie fabriqué exclusivement avec du lait de vache
entier, lui aussi porteur du nom d’un village, entre Bourgogne et Champagne, le
chaource est connu dès le XIIème siècle : les religieux de l’abbaye de
Pontigny se seraient penchés sur son berceau et l’évêque de Langres s’en
régalait. Au début du XIVème siècle, Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X
le Hutin, l’exigeait à sa table et son beau frère, Charles IV le Bel, se le fit
présenter lors de son passage à Chaource. Et au XIXème, ce cylindre plat à la
croûte blanche et duvetée, à l’odeur légère de champignon et de crème, à la
pâte onctueuse aux arômes de noisette, a acquis sa notoriété sur les
principales places françaises.
Epoisse
© Syndicat de défense de l'époisse
|
Le soumaintrain, qui porte le nom d’un village de l’Yonne, peut également se targuer d’une origine
médiévale, bien que les premières traces certifiées de sa fabrication remontent
à 1631 (versement de la dîme à l’abbaye de Pontigny) : en 1117, les moines cisterciens
s’acquittaient du fermage de leurs terres avec ce fromage à pâte molle et à
croûte lavée de couleur jaune paille à ocre foncé. Il n’est pas affiné à
l’alcool, mais sa pâte fine à l’amertume noble et aux saveurs de noisette et de
sous-bois se marie harmonieusement avec un irancy.
Place aux nouveau-nés du siècle dernier : récents, oui,
mais non moins forts en bouche ! Fromage puissant, né en 1950 sur la côte
dijonnaise, l’ami du Chambertin est fabriqué selon un savoir-faire inspiré de
celui des moines et des fermières d’antan, en laiterie artisanale, au lait cru
de vaches de la région. Affiné plus de quatre semaines en cave avec lavages à
l’eau et au Marc de Bourgogne, ce cousin de l’époisses porte haut les couleurs
de sa robe d’or.
Créé dès 1890 en Seine-Maritime sous le nom d’Excelsior,
notre brillat-savarin est ainsi renommé en 1930 par Henri Androuët en hommage
au célèbre gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin. Sa production se déplace
alors de Normandie en Bourgogne où il est affiné depuis plus d’un demi-siècle.
Fromage à pâte molle et croûte fleurie, au lait de vache enrichi en crème,
dodu, replet et sans complexe de poids, il aime les réjouissances et boude les
régimes tristes. Son onctueuse pâte blanche est fruitée, un peu acide, et
libère en bouche des arômes de beurre, de champignon et de noisette.
Plus confidentielle, toujours au lait crû entier de vache, la
pierre-qui-vire est fabriquée depuis 1980
par les moines de l’abbaye bénédictine de Sainte Marie de la Pierre-qui -Vire au sud
de l’Yonne. L’abbaye de Cîteaux n’est pas en reste, dont les moines élaborent depuis
1925 le trappiste de Cîteaux. Et que diriez-vous d’un cendré de Vergy ?
Mais laissons là la vache ! Dès le XVIème siècle,
fermiers, métayers et viticulteurs élevèrent sur les prés communaux, les
herbages des larges chemins ou les prairies intercalées entre les côtes
viticoles, la « vache du pauvre », utilisant le lait cru de leurs
chèvres pour en fabriquer des fromages, se constituant une alimentation
substantielle et un revenu. Naissent au fil des siècles le charolais, le mâconnais,
le bouton de culotte, le dôme des Belles Fontaines, le marcigny, le racotin, le
poiset au marc… qui ravissent encore nos papilles. Alors, encore un Bouton de
culotte sur le velours d’un Nuits-Saint-Georges ou le satin blanc d’un
Chablis ?
Article de Valérie Denarnaud - Mayer paru dans la revue L’éléphant n° 14, avril 2016
www.lelephant-larevue.fr
Périodes de consommation idéale:
- l'Epoisse de mai à octobre mais aussi d'avril à décembre.
- Le Langres de mai à août mais aussi de mars à décembre.
- Le Soumaintrain de mai à octobre mais aussi d'avril à décembre.
- Le Brillat-Savarin d'avril à octobre mais aussi de mars à octobre.
- Le Chaourse de juillet à octobre mais aussi de janvier à octobre.
- Le Charolais de mai à août mais aussi de mars à décembre.
- Le bouton de culotte de juillet à octobre mais aussi de juin à novembre.