De A comme agrume, B comme bosselé, C
comme cédrat, comme Cap, comme Corse, D comme doigt, E comme énorme… à Z comme
zeste, voici l’étonnante histoire de ce fruit mal connu, le cédrat corse, la
pomme d’or qui enrichit les habitants du Cap Corse, ce doigt pointant son
échine montagneuse entre mer Méditerranée et mer Tyrrhénienne, tout au nord de
l’île. C’était au XIXème siècle.
Les Cap Corsins ne chômèrent pas qui furent à la fois
cultivateurs et navigateurs. A peine les fruits cueillis – dont la culture
délicate avait requis tous leurs soins –, ils les mettaient à macérer en
saumure afin d’en éliminer l’amertume, entiers ou coupés, dans des tonneaux
remplis d’eau de mer qu’ils chargeaient ensuite à bord de goélettes dans les
marines de Nonza ou de Giottani en partance pour Marseille, Nice, Gênes ou
Livourne. La Corse
produisait alors 45 000 tonnes de cédrats par an. C’est dire combien la richesse
de l’île leur était redevable ! Mais les Cap Corsins voulurent plus :
ils s’expatrièrent au-delà des mers pour fuir les conditions de vie difficile
de leurs villages, vers l’Amérique latine, notamment à Porto Rico et à Saint
Domingue, emportant dans leurs bagages de fortune la poule aux œufs d’or, les
greffons des fabuleux cédratiers. Peu importait alors à ceux qui réussirent que
l’âge d’or du cédrat commence à décliner dans la presqu’île qu’ils avaient
quittée ; eux revinrent riches et, pour que nul n’en ignore, montrèrent
avec panache leur éclatante réussite de paysans ou marins émigrés. Ils firent
construire les magnifiques maisons dites ‘d’Américains’ qui détonnent dans le
paysage rural cap corsin mais nous émerveillent encore. Il fallait qu’on les
vît ! Placés sur une hauteur ou à un endroit stratégique, ces palazzi de la fin du XIXème et du début
du XXème siècle, entourés d’un jardin arboré, ressemblent à s’y méprendre à des
villas toscanes ou à des demeures latino-américaines : rectangulaires,
néo-classiques, ocres ou roses, ils témoignent du retour au bercail d’enfants
du pays désormais acquis au luxe et au beau. Et, tout comme les cultures de
cédratiers avaient construit le paysage, ces ‘maisons d’Américains’ ont
considérablement modifié la physionomie des villages cap corsins.
Bocaux de cédrats confits. Production Xavier Calizi |
Valérie Denarnaud-Mayer*
Article paru dans la revue L’éléphant n°7, juillet 2014
*Auteur du roman Les cédrats confits (La Bardinière, 2013)